Ça faisait un temps que j’y pensais. J’avais l’impression que quelque chose clochait sérieusement avec la série Le fléau de Roc-du-Cap. Et je ne parle même pas du texte : j’ai la ferme conviction d’avoir produit des livres de qualité, et j’ai investi autant de temps dans La nouvelle hantise que dans n’importe lequel de mes autres livres publiés à compte d’éditeur.
Le problème était dans la présentation des livres au sein de la série.
Au départ, les titres étaient organisés de cette façon :
- Partie I : Le dernier rituel –> Une nouvelle d’horreur de 200 mots, originalement publiée dans Nocturne. Prix : gratuit.
- Partie II : Le premier survivant –> Une nouvelle d’environ 1500 mots, originalement publiée dans Brins d’éternité. Prix : 0,99 $, ou gratuit en s’abonnant à ma liste de diffusion.
- Partie III : La nouvelle hantise –> Un roman de 40 000 mots où l’on suit le personnage de Damian Ragellan (et à partir de là, on a toujours le point de vue de Damian). Prix : 3,99 $.
Même si, vite comme ça, les défaillances de cette présentation vous paraissent évidentes, ça m’a pris du temps à réaliser l’ampleur du problème. J’avais des angles morts.
Voici mes constats :
Problème #1 : Le dernier rituel, à lui seul, n’est pas une bonne porte d’entrée
Dans le domaine du livre numérique, une micronouvelle de 200 mots peut générer de la frustration. Mettre un epub sur une liseuse est facile pour la plupart des gens, mais pour certains, c’est une autre paire de manches (il faut brancher la bébelle, ouvrir des logiciels qui ne fonctionnent pas toujours bien, transférer les fichiers, déconnecter…). Et peu importe la difficulté de cette tâche, peu de gens lisaient le terme Micronouvelle sur la couverture. Les gens téléchargeaient ce titre en espérant recevoir une novella ou un roman.
Deux cents mots, ça se dévore en 2 minutes. Donc je suppose que c’était plus long d’installer ce livre que de le lire.
De plus, cette nouvelle a été conçue au départ comme une oeuvre indépendante. La fin n’annonce aucune suite. Ça se termine avec un « bang », comme une enclume, sans ouverture. Ça, je m’en étais rendu compte, et pour pallier le problème, j’avais rempli le livre avec une tonne de paratextes pour mettre le récit en contexte et, surtout, pour expliquer que je l’ai continuée.
En gros, les paratextes étaient 4 fois plus longs que le « vrai » contenu. C’était ridicule. Et ça faisait très « défensif ».
Problème #2 : Absolu manque d’uniformité dans les 3 tomes
Comme vous l’avez lu dans la liste, avec les différentes parties de la série, on passait de 200 à 1500 mots, puis de 1500 à 40 000 mots. Avec ces irrégularités, comment le lecteur pouvait-il anticiper les longueurs des suites? La nouvelle hantise coûtait 3,99 $. Certains devaient craindre de payer ce montant pour une nouvelle.
Eh bien, je ne les blâme pas.
Problème #3 : Dans ma tête, La nouvelle hantise est le premier tome
Les deux parties précédentes ont été écrites en 2006 et publiées en 2008. Elles existent depuis près de 10 ans. À mes yeux, elles sont recouvertes d’une fine couche de poussière.
Quand j’ai rédigé La nouvelle hantise, mon but était de démarrer une nouvelle aventure à partir de ces deux courtes nouvelles. Je voulais créer une série classique de type « feuilleton » où on garderait le point de vue d’un seul personnage, jusqu’à la fin de la série (ici, c’est Damian Ragellan).
De plus, La nouvelle hantise est essentiellement écrite comme un premier tome : je prends la peine d’y faire une mise en place et on y découvre tous les protagonistes importants qui vont accompagner le lecteur dans les parties à venir.
Sauf que ce livre portait la marque : « Partie III ».
Problème #4 : La série ne génère pas assez d’abonnement à ma liste de diffusion
J’ai dû me rendre à l’évidence : offrir 2 nouvelles (plutôt que des romans complets) n’est pas un incitatif suffisant pour attirer les foules dans ma liste de diffusion. Bien sûr, j’ai récolté quelques inscriptions, mais le résultat est bien en deçà de mes objectifs initiaux.
En gros, j’utilisais le tome 1 (gratuit) pour aller à la pêche sur Amazon, Kobo et iBooks, en espérant que les lecteurs veuillent continuer la série sans payer (donc en s’abonnant à la liste). Le hic : comme ce volume n’est pas une bonne porte d’entrée (tel que décrit plus tôt) et que le 2e tome est aussi une nouvelle (généralement moins attrayant qu’un roman complet), eh bien, les gens hésitaient.
* * *
Je pourrais continuer à énumérer les problèmes, mais je vais m’arrêter là.
Je devais donc faire un choix.
Devais-je m’accrocher à mon ancien système pour rester « cohérent dans ma démarche » et ainsi condamner ma série à l’obscurité? Ou devais-je tout réorganiser mes livres, ce qui me ferait passer pour un « esti de pas branché » auprès de mon lectorat?
Well, j’ai choisi la deuxième option. De toute façon, mon lectorat le sait, que je suis pas branché.
* * *
Depuis le temps où j’ai commencé à travailler sur Le fléau de Roc-du-Cap, je m’étais mis dans la tête que les parties I et II étaient ESSENTIELLES à la compréhension de La nouvelle hantise.
Puis, j’ai relu quelques passages-clés de La nouvelle hantise, pour remettre en question cette idée.
J’ai dû me rendre à l’évidence : j’avais tort de penser ça.
Bien que les 2 premières parties puissent susciter un certain intérêt chez les non-initiés, on pouvait sauter par-dessus ces histoires sans subir de grandes conséquences. Après tout, La nouvelle hantise commence un mois plus tard et reprend l’action avec des lieux et des personnages différents.
Il ne restait alors qu’une chose à faire.
J’ai chargé mon gun, prêt à exécuter les 2 tomes fautifs.
Juste avant de presser la gâchette, j’ai discuté de mon problème avec Mireille, par courriel.
Ça a pris 2 secondes avant qu’elle me sorte une idée fraîche : « Fais donc un tome 0.5. Y’a plein d’auteurs de romance qui font ça. »
Oh.
* * *
J’y ai réfléchi, mais pas si longtemps.
Cette idée était pleine de potentiel.
Si je fusionnais Le dernier rituel et Le premier survivant, je créerais alors un petit recueil de nouvelles d’une trentaine de pages. Et c’est cool : les deux histoires se suivent directement, elles sont intimement liées. Ce serait la partie 0.5. Je n’aurais alors qu’à changer le numéro de La nouvelle hantise et inscrire, sur la couverture, « Partie 1 ».
La partie 0.5 devrait impérativement être gratuite. Je perdrais donc la valeur de la partie 2 (originalement vendue 0,99 $). Pas un gros sacrifice.
L’autre avantage serait que si quelqu’un commençait sa lecture avec La nouvelle hantise (qui serait maintenant la partie 1), eh bien, ÇA SERAIT VRAIMENT PAS GRAVE. Comme je l’ai dit, les deux nouvelles qui précèdent ne sont pas essentielles à la compréhension du reste. J’ignore pourquoi j’ai déjà pensé le contraire, d’ailleurs.
Je me garderais donc une porte d’entrée gratuite, tout en ayant une structure beaucoup plus simple. Et la marque « Partie 0.5 » communique implicitement au lecteur que ce livre n’est pas un passage obligé. Je pourrais donc éliminer mes interminables paratextes.
* * *
Après avoir dormi là-dessus pendant la fin de semaine, je suis passé à l’action.
Première chose que j’ai faite : fusionner Le dernier rituel et Le premier survivant. J’ai nommé le nouveau recueil Les derniers jours, parce qu’une fois réunies, ces deux histoires peuvent être vues comme un compte à rebours avant l’éclosion de la maladie qui a provoqué la chute de Roc-du-Cap.
Pour ajouter un peu de tension, j’ai inséré une ligne en caractères gras au début de chacune des nouvelles, respectivement « Deux jours avant l’éclosion du chagrin de la mort » et « Un jour avant l’éclosion du chagrin de la mort ». Ça crée une forme d’unité et, je l’espère, ça donnera envie au lecteur d’aller voir ce qui se passe ensuite, étant donné qu’à la fin du livre, le compte à rebours aurait théoriquement atteint zéro.
Mais ces seuls changements n’étaient pas suffisants.
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Dans le livre numérique, il règne une certaine culture de la gratuité. Certains lecteurs aiment se balader dans les palmarès « Gratuits » des sites comme iBooks, Kobo ou Amazon et téléchargent tout ce qu’ils y trouvent. Et c’est bien correct. Cependant, c’est rare que ces types de lecteurs vont sortir leur portefeuille pour acheter un titre, à moins que le prix du livre convoité soit vraiment attrayant.
Dans l’univers numérique, 3,99$ pour le premier tome d’une série, c’est cher. Surtout quand l’auteur est moyennement connu et qu’il doit faire sa promotion avec « les moyens du bord ».
Si l’on revient au Fléau de Roc-du-Cap, encore une fois, je considère que la nouvelle mouture de la partie 0.5 est plus intéressante qu’avant, mais le vrai bijou, c’est La nouvelle hantise. Ce livre-là est conçu pour accrocher. Je voulais qu’en finissant la dernière ligne, le lecteur se lève debout et crie : « AAAARGH! FUUUCK! » Je veux qu’un maximum de gens embarque. Je suis convaincu qu’après avoir lu ce livre-là, les lecteurs paieront un prix raisonnable pour lire Les vieilles rancunes. Mais pour en arriver là, on doit d’abord leur faire découvrir La nouvelle hantise.
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Mes solutions ont été drastiques. Mais je crois qu’elles porteront des fruits.
J’ai fusionné Le dernier rituel et Le premier survivant pour former un nouveau livre intitulé Les derniers jours.
De plus, j’ai réduit le prix de La nouvelle hantise de 3,99 $ à 0,99 $, et ce, en permanence.
Je crois qu’il était nécessaire, pour moi, d’avoir pris un peu de recul pour parvenir à prendre cette décision.
Et ce n’est pas fini : désormais, tous les abonnés à ma liste de diffusion recevront automatiquement, et gratuitement, les livres Les derniers jours, de même que La nouvelle hantise.
Ça signifie que si vous êtes membre, vous recevrez, très bientôt, un courriel avec un lien pour télécharger ces deux livres, sans frais.
Awesome, n’est-ce pas?
Joyeux Noël!