Dans mon dernier billet, j’ai expliqué comment j’avais donné ma démission en vue de retourner aux études. À la fin de ce processus, Olymel se trouvait loin derrière moi, je pouvais enfin passer à autre chose.
J’avais 21 ans quand je suis revenu au cégep. Vu d’ici, ça me semble jeune, mais à l’époque, j’étais l’aîné de ma cohorte avec TELLEMENT D’EXPÉRIENCE DE VIE (lol).
Ben, en fait, oui. D’avoir vécu la pression de la vie en usine, ça a radicalement changé ma façon de travailler. Chaque fois que je me retrouvais en classe, devant mon ordinateur pour faire un exercice, j’avais l’impression d’avoir un contremaître dans le dos qui surveillait mes moindres faits et gestes. Conséquence : j’arrivais toujours à clencher mes travaux dans le tiers du temps requis.
Et comme les exercices étaient souvent donnés à la fin des cours, je pouvais rentrer à mon appartement 1 ou 2 heures à l’avance.
Plus de temps pour écrire.
* * *
Je n’ai jamais vécu pleinement ma « vie étudiante » à mon deuxième passage au cégep. Comme j’étais déterminé à écrire le plus possible, je sortais rarement de chez moi, et comme j’étais un « vieux bouc », les autres étudiants ne m’invitaient jamais à leurs beuveries ou presque. C’est correct, je suis pas sûr que j’y serais allé de toute manière.
Comme on dit, j’avais déjà foiré en masse entre 1999 et 2001.
Pour l’écriture, c’était quand même une époque magique. Je mangeais peut-être du Kraft Dinner chaque jour, mais autrement, je n’avais aucune véritable difficulté financière. J’habitais à côté du cégep, donc je n’avais qu’à marcher 5 minutes pour m’y rendre. J’étais discipliné, donc je finissais mes devoirs à la vitesse de l’éclair sans pour autant les négliger. Dès que j’avais un trou, j’ouvrais mon document d’Alégracia et le Serpent d’Argent et je travaillais dessus.
C’était devenu encore plus facile à partir de ma 3e session, quand je n’avais plus aucun cours régulier (j’en avais fait la moitié à Lévis-Lauzon). Mon horaire est passé de 30 heures à 18 heures de classe. Sans aucune autre obligation. Pas de blonde, pas d’enfant, pas de maison à entretenir. Rien, à part moi et mon ordi.
J’ai écrit Alégracia et les Xayiris durant cette période. Matin et soir. J’étais une vraie machine.
* * *
Je continuais de visiter régulièrement le site HorreurQC, au sein duquel il y avait un forum où des passionnés de fantastique et d’horreur échangeaient sur ces sujets. Je nous remets en contexte : en 2003, il n’y avait pas de Facebook, ni de Twitter, ni de Goodreads. C’était difficile pour les amateurs du genre de se réunir virtuellement. Le site répondait à un besoin important, et c’est pourquoi il est resté gravé dans les mémoires de plusieurs.
C’est sur cette plateforme que j’ai connu Pierre-Luc Lafrance, Jonathan Reynolds, Mathieu Fortin, Michel J. Lévesque, Ariane Gélinas, Claude Bolduc, Caroline Lacroix, Alexandre Lemieux et j’en passe. C’est aussi là-dessus que s’est formé le noyau de la relève québécoise dans les littératures de l’imaginaire. On partageait nos bons coups et nos échecs, on brassait nos idées, on se mettait au défi. C’est également sur HorreurQC qu’on a brainstormé pour trouver le nom d’un futur fanzine que Mathieu Fortin s’apprêtait à lancer. Il voulait appeler ça « Apnée imaginaire », mais je lui ai dit qu’on avait l’impression d’éternuer en prononçant le titre. Il a finalement opté pour « Brins d’éternité ».
Comme on était presque tous des ti-culs, on était bien excités quand Michel J. Lévesque nous a appris qu’il allait monter dans les ligues majeures et publier une série chez les Intouchables. Ça nous a comme allumés : « Heille, c’est possible d’aller jusque là! »
C’est aussi sur HorreurQC qu’on s’est mobilisés pour crasher en gang le congrès Boréal, vu que c’était trop gênant d’y aller seul, et qu’on ignorait si les jeunes seraient bien reçus.
Une belle époque!
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Déjà, je dessinais de moins en moins. Contrairement à Zviane qui a toujours réussi à allier ses passions pour la musique et le dessin, j’ai personnellement beaucoup de difficultés à attaquer sur deux fronts en même temps. Certes, la « théorie » que j’avais assimilée dans les arts visuels m’influençait dans mon écriture, mais ma patience pour réaliser des illustrations avait nettement diminué. Alors qu’avant, je pouvais passer des heures et des heures au-dessus de ma feuille de papier, maintenant, une demi-heure, c’était ma limite.
Conséquemment, le niveau de qualité de mes dessins est tombé en chute libre. Par chance, j’ai découvert la tablette graphique à la même époque, et ça m’a permis de pratiquer mon coup de crayon sans devoir déployer ma table à dessin comme autrefois.
Mais c’était plus la même affaire.
* * *
Année 2004. Moment décisif dans mon parcours d’écrivain. Guillaume Houle annonçait sur le forum d’HorreurQC qu’il lancerait bientôt leur recueil de nouvelles Équinoxe à l’Université Laval. J’allais enfin pouvoir rencontrer plusieurs membres du forum, dont l’équipe des Six Brumes.
Dans ma tête, je me suis dit : « C’est TELLEMENT le moment idéal pour leur passer mon premier manuscrit d’Alégracia! »
Ha. Ha.
Les jeunes, ne faites jamais ça à la maison.
* * *
Quelques jours plus tard, j’ai révisé une dernière fois mon manuscrit, je l’ai imprimé, je lui ai mis une couverture flashy avec des beaux dessins pis toute.
Puis je me suis rendu au lancement d’Équinoxe.
Sur place, c’était vraiment tripant. Je voyais enfin, en chair et en os, ces gens avec qui je j’échangeais depuis plusieurs mois. On s’est parlé de nos projets, et ça m’a fait réaliser que je n’étais pas seul dans le bateau (c’est une réflexion un peu conne, car on communiquait virtuellement ensemble depuis longtemps… des fois, le réel a cet effet de renouveau). J’ai serré la main à Guillaume Houle, à Jonathan Reynolds et à Marki St-Germain.
Puis j’ai attiré Marki dans un coin.
Je lui ai parlé de mon projet Alégracia, que j’avais gardé dans un secret relatif sur le forum d’HorreurQC, et je lui ai demandé s’il voulait l’avoir. « Ben oui, envoie-moi-le par la poste », qu’il a répondu juste avant que je lui montre le gros manuscrit que j’avais dans mon sac à dos. Je me souviens qu’il m’a fait une face bizarre, du genre : « Tu viens à un lancement pour pusher tes propres projets? » Je l’avoue, c’était malhabile de ma part.
Au moins, il l’a quand même rapporté chez lui.
* * *
J’ai découvert, pour la première fois, l’angoisse de l’attente.
* * *
Que faire, alors qu’on ne vit que pour espérer la réponse d’un éditeur? Ben, écrire. Puisque j’avais énormément de temps, comme je l’expliquais plus tôt, j’ai pu terminer Alégracia et les Xayiris dans une seule année. Chose incroyable, car c’est le livre le plus long de la trilogie (tellement long, en fait, qu’il a fallu le scier en deux au moment de la publication).
J’ai donc commencé la rédaction d’Alégracia et le Dernier Assaut avant même de savoir si la série serait acceptée.
Ça non plus, n’essayez pas ça à la maison.
En fait, vous le pouvez. Certains éditeurs exigent maintenant des séries complètes au moment de la soumission, mais sachez que vous prenez un bien grand risque en faisant ça.
* * *
Je ne me souviens plus combien de temps ça a pris. Six mois? Neuf mois? En tout cas.
Un beau matin, j’ai reçu un courriel de la part des Six Brumes pour m’informer qu’Alégracia et le Serpent d’Argent serait finalement retenu pour publication. Fait exceptionnel, il semblait que tous les membres du comité de lecture l’avaient aimé, alors qu’habituellement les opinions n’étaient jamais aussi unanimes. Une telle nouvelle, ça fait du bien à l’orgueil.
J’ai aussi appris entre les branches que, contrairement à ma première impression, le fait d’avoir présenté mon manuscrit au lancement d’Équinoxe avait joué en ma faveur dans ce cas spécifique. La maison d’édition Les Six Brumes n’étant pas subventionnée et n’ayant pas le budget de fonctionnement des « grosses machines éditoriales », ils recherchaient des auteurs impliqués qui seraient prêts à aller sur les premières lignes pour présenter leur travail au public.
C’est un peu ce que j’ai fait. Mais j’ai eu de la chance. Le geste n’aurait pas été reçu de la même manière avec d’autres éditeurs, j’ai l’impression.
* * *
Même si j’étais officiellement accepté, on m’avait informé que mon livre ne serait pas sur les tablettes avant plusieurs mois. Il fallait, entre autres, préparer la page couverture.
Comme je m’ennuyais de faire du dessin, j’ai proposé à Marki de réaliser cette illustration, bénévolement. Je lui ai montré mon portfolio, il a aimé, alors il a dit oui. J’ai donc ressorti mon vieil attirail de crayons et de papier, et je me suis mis au travail.
Comment ça s’est passé?
Vous le saurez dans le prochain billet.
Autres articles dans ce dossier :
- La genèse d'Alégracia #1 : La bande dessinée, c'est fini
- La genèse d’Alégracia #2 : Les années sombres
- La genèse d’Alégracia #3 : La lumière au bout du tunnel
- La genèse d’Alégracia #4 : La communauté HorreurQC
- La genèse d’Alégracia #5 : La couverture du premier tome