Durant le dernier Salon du livre de Montréal, Mireille et moi voulions aller souper en ville. On ne savait pas si on préférait aller au Pied de cochon ou à la Banquise. Comme on n’avait pas de réservation, on s’est dit qu’on finirait sûrement à l’endroit spécialisé en poutines.
On a donc pris le métro pour se rendre à la station Mont-Royal, là où se trouvaient les deux restaurants.
« STATION SQUARE-VICTORIA »
Le métro, c’est pratique, mais c’est jamais ben excitant. Au moins, dans un autobus, tu peux contempler un peu le paysage urbain.
N’ayant pas de siège, Mireille et moi on se tenait debout au milieu de l’allée.
« STATION PLACE-D’ARMES »
Un individu debout pas loin de nous s’est mis à nous regarder. Il paraissait bien, avait l’air d’être âgé dans la vingtaine. Je dirais qu’il avait un peu le style de Gabriel Nadeau-Dubois, surtout pour la coupe de cheveux.
Je voyais bien qu’il avait quelque chose sur le bout de la langue.
Ça m’étonnait, parce qu’habituellement, les gens qui me parlent dans l’autobus sont des grincheux qui chialent à propos de l’actualité ou qui me racontent de quelles manières le gouvernement fait TOUT EN SON POUVOIR pour nous fourrer jusqu’à l’os.
Mais là, un jeune GND comme celui-là qui voulait me parler… Sûrement qu’il me demanderait des indications pour aller quelque part. N’était pas originaire de Montréal, je savais que je ne pourrais pas l’aider beaucoup.
Il finit par s’exprimer…
INCONNU : Euh, pardon? Excusez-moi?
Il avait un accent français, donc je me suis dit qu’effectivement, il me demanderait des indications.
MOI : Oui?
FRANÇAIS : Connaissez-vous la chimie?
Mireille et moi, on est un peu flabbergastés par la question. Mireille répond immédiatement non alors que moi, je soupesais encore sa question. Qu’est ce qu’il voulait dire par là, exactement?
MOI : Ben, je sais un peu comme ça marche un atome. Genre.
FRANÇAIS : Sauriez-vous où je pourrais trouver de la soude caustique?
MIREILLE : De la soude caustique?
MOI : C’est de la petite vache, ça, me semble? Tu peux en acheter à l’épicerie.
FRANÇAIS : Non, en fait, je recherche vraiment de la soude caustique pure. En France, on peut en acheter dans n’importe quelle pharmacie, mais ici, j’ai pas trouvé.
MIREILLE : C’est peut-être pas de mes affaires, mais qu’est-ce que tu veux faire avec ça?
FRANÇAIS : Du savon! Comme dans Fight Club. En fait, j’ai besoin de beaucoup de soude caustique, parce que je veux faire un GROS savon! Vous voyez?
MOI : J’étais sûr que c’était de la petite vache. Dans ma région natale, y’a du vieux monde qui disait « soude caustique » au lieu de « p’tite vache ».
FRANÇAIS : Non, je sais de quoi je parle. J’ai mon diplôme d’ingénieur en chimie.
MOI : Oh!
« STATION CHAMP-DE-MARS »
Mireille et moi, on reste silencieux un moment. Notre nouvel ami français aussi.
« STATION BERRI-UQAM »
FRANÇAIS : Excusez-moi encore…
MIREILLE : Y’a pas de problèmes.
FRANÇAIS : Savez-vous si vos cartons de lait ont de l’aluminium à l’intérieur?
MIREILLE : Non, c’est sûr que non.
FRANÇAIS : Quel est leur enrobage? Qu’est-ce qui les imperméabilise?
MIREILLE : De la cire?
MOI : Me semble que c’est une couche de plastique. Quand je garroche un contenant dans un feu de camp, je le vois « twister ».
FRANÇAIS : Pardon?
MOI : C’est sûrement du plastique.
MIREILLE : Est-ce que je peux demander pourquoi tu… euh, vous voulez savoir ça?
FRANÇAIS : J’aimerais bien m’en servir comme moule. Pour faire mon GROS savon. Mais je dois faire bien attention à l’aluminium. La soude caustique, ça réagit mal avec ce métal.
MOI : Ah! Bien oui. Évidemment.
Quelques minutes plus tard, Mireille et moi, on descend à la station Mont-Royal et, une fois dans la rue, on se regarde un peu, perplexe, puis on a tout un fou rire! Un savon géant? Come on!
Et ma question à vous, chers lecteurs : MAIS QUE VOULAIT-IL VRAIMENT FABRIQUER AVEC ÇA???