Une chose qui m’agace dans toutes les conférences (ou anticonférences) qui traitent du livre numérique, c’est le moment inévitable où on se met à parler du contenu. Les participants se mettent à scander à quel point le livre numérique, c’est génial. Ça va révolutionner le monde avec son interactivité, sa réactivité, etc. On devrait faire ci, on devrait faire cela.
Mille et une possibilités, bref.
On remarquera qu’au centre de ces discussions, il y a très peu de créateurs.
Oui, le livre numérique ouvre les portes aux infinies possibilités de l’informatique. On n’a qu’à voir la vaste gamme d’applications qui existent déjà sur les appareils mobiles et s’imaginer que le livre électronique pourrait se rapprocher de quelque chose comme ça, un jour.
Établissons d’abord un fait.
Dans le merveilleux monde du livre, il y a les lecteurs d’un côté et les créateurs de l’autre. Et entre les deux, un besoin comblé.
Oui, comblé.
L’un donne de la littérature à l’autre. Sous forme de livre papier ou sous forme de fichier. Si les lacunes existent, elles sont dans l’infrastructure.
Je fais partie des auteurs qui croient que le livre numérique est fantastique pour différentes raisons : portabilité, possibilité d’ouvrir le marché québécois au monde, meilleur prix de vente, meilleures redevances aux auteurs, arbres sauvés, etc.
En bref, c’est un support prometteur.
Mais lorsqu’on se met à parler de contenu et d’interactivité potentielle, par exemple durant un BookCamp, je tique. Le contenu, c’est de l’apanage des créateurs et ça devrait s’inventer dans le cerveau des créateurs.
Durant ces conférences (qui, je le rappelle, sont rarement fréquentées par les auteurs), on a de l’ambition. On voudrait dépasser les limites du livre. Or, la plupart des lecteurs et des auteurs trouvent qu’on n’a pas nécessairement besoin de les dépasser, ces limites. La littérature n’a probablement pas besoin d’être investie de bébelles qui ne feraient que créer de l’interférence entre l’œuvre et son destinataire. Et si je me trompe là-dessus, ne vous en faites pas; les créateurs vont se charger de défricher les nouveaux sentiers.
Faites-nous confiance, bordel. Avoir des idées, c’est notre travail.
Ce qui m’amène à dire : ces sujets sont inutiles dans vos conférences. Ou bien vous essayez de créer des besoins qui n’existent pas (on est au XXIe siècle, après tout, ce comportement est à la mode), ou bien vous essayez de jouer aux créateurs. Si le livre est destiné à trouver une nouvelle forme, ne vous en faites pas : on va la trouver.
Dans ces évènements, plusieurs se demandent : « Mais où sont les auteurs? » Laissez-moi vous donner une piste de réponse pour justifier leur absence.
Les auteurs n’aiment pas nécessairement fréquenter un BookCamp, car on a l’impression de s’y faire materner. Les écrivains, pour ceux qui l’ignorent, se trouvent sur les premières lignes dans le milieu littéraire. On est bien placés pour savoir ce que les lecteurs recherchent. Alors ce n’est pas les participants de ces évènements – dont plusieurs sont blasés du livre papier – qui vont nous dire quoi faire quant aux contenus.
Les gens blasés du livre papier, on s’en méfie.
On peut préférer le numérique. Mais on peut difficilement être contre le papier, à moins d’être contre la littérature en général. Et, si c’est le cas, s’il vous plait, sortez du débat. Vous êtes hors-sujet.
Je me souviens la table ronde intitulée Les méandres de l’édition, à laquelle j’avais assisté cet automne. Vers la fin, l’animateur abordait la question du livre numérique. Les éditeurs et auteurs trouvaient que c’était un merveilleux support. À ce moment, l’animateur s’est emporté en scandant que le livre papier allait disparaitre, qu’il fallait maintenant penser « interactivité » et arrêter de se cantonner dans les vieux formats.
J’ai entendu le même discours à maintes reprises.
Je le répète : on est assez grands pour se charger des contenus. Nous sommes des auteurs. Notre job, dans la vie, c’est d’avoir des idées. On connait notre milieu; laissez-nous faire notre travail.
(Prenez note que je n’étais pas présent au BookCamp Montréal cette année, mais je me fie à mon expérience qui fut tout de même très enrichissante de la Fabrique du numérique 2010).