Créer et détruire (3) – (Dé)composition

Ah, écrire.

On y pense souvent de façon positive : on construit une histoire, on fait vivre des personnages. Chaque séance de travail ajoute un peu plus à l’oeuvre en gestation, qui croît lentement et sûrement, jusqu’à maturation complète. Ajoutez la musique de harpe et les petits cœurs volants (sans oublier les bruits de bisous mouillés), et voilà, vous avez une représentation parfaite de l’écriture, n’est-ce pas?

Non?

Non.

L’écriture s’articule aussi (et j’avancerais même : principalement) par la négative. Par la réécriture (le côté obscur de la créativité), qui, souvent, permet à un texte d’accéder à ce qu’il est vraiment. Par la suppression intelligente (nécessaire) de passages, de personnages qui ankylosaient le récit, l’empêchaient de s’envoler.

Oui, il est toujours agréable de laisser courir ses doigts sur le clavier (ou sa plume sur le papier, pour les archaïques), de voir sa création prendre de l’ampleur, en terme de mots, de pages… Mais parfois, ce n’est pas tout à fait ça, ça ne fonctionne pas: non, à bien se relire, ce n’est pas ce qu’on voulait dire. Il faut recommencer. Effacer, quelques mots, quelques phrases. Un ou deux paragraphes, un chapitre entier. Dans un claquement de langue : clac, allez, ouste, même si c’est difficile (voir cette image amusante qui illustre bien l’idée, tirée d’un billet sur le blogue de Michèle Laframboise. En fait, allez donc lire le billet au complet).

Un roman, ou une nouvelle, ou un poème (et ainsi de suite) ne peut pas souffrir du moindre passage superflu. Si cette question est assez largement acceptée, il n’en est pas de même pour la définition de superflu: pour certain, c’est les descriptions qui sont à proscrire, car ils préfèrent les dialogues. D’autres, inversement, favoriseront les descriptions et réduiront autant que possible les dialogues rapportés directement, sauf si c’est pour en faire une trame narrative (c’est mon cas). Certains chercheront à produire une atmosphère, au détriment, parfois, des autres aspects du texte, comme les personnages, l’intrigue, l’idée, le style (quoiqu’une bonne atmosphère s’articule habituellement à travers une écriture impeccable). Pour être en mesure de savoir quoi garder et quoi jeter dans un texte (ce qui est bon et ce qui ne l’est pas), il faut une certaine sensibilité littéraire, qui se développe en écrivant, bien sûr, mais aussi en lisant et, surtout, en se relisant : il faut atteindre une connaissance assez profonde de soi et de son écriture. C’est très difficile, parce qu’on est souvent mal placé pour juger ce qui a si longtemps été en gestation dans notre cerveau (dit comme ça, ça sonne un peu entité parasitaire, mais enfin). Il faut un regard objectif, idéalement extérieur. C’est pourquoi même les auteurs aguerris s’entourent d’une petite équipe de bons lecteurs, qui pourront leur pointer les failles narratives ou langagières de leurs oeuvres. Et c’est aussi pourquoi les directeurs littéraires existent. Mais ça, c’est le sujet de mon prochain billet!

Créer et détruire (3) – (Dé)composition

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  • Merci pour la référence, Guillaume!

    Créer et détruire, cette dualité de l’écrivain(e), cette nécessité de la vie sur terre…

  • Billet très intéressant !
    C'est vrai qu'il est nécessaire de s'entourer d'une équipe de lecteurs et de juges comme tu l'affirmes, car lorsqu'un écrivain est son seul juge, comment peut-il se faire suggérer de nouvelles tournures et formulations de phrases qu'il pourrait utiliser s'il apprenait à les mieux connaître ? Des méthodes étrangères qui ouvrent de nouvelles possibilités d'écriture, et donc qui augmentent le niveau de maîtrise de la langue, de la musicalité des écrits, et peut-être même de l'originalité du style ?

  • C'est aussi important de trouver des correcteurs qui sont sur la même longueur d'ondes que nous. Si on écrit un roman avec plein de descriptions, je pense que ça serait une mauvaise idée de confier le manuscrit à une personne qui déteste ça! Les commentaires risquent alors d'être moins pertinents.

    Et, oui, il faut couper.

    Comme on est des Québécois, je comparerais ça avec du sirop d'érable. Couper les passages inutiles dans son livre, c'est comme faire bouillir de l'eau d'érable pour garder seulement ce qui est bon : le sirop. Mioum!

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