Pour raconter les débuts d’Alégracia, on va commencer par la fin.
La fin de la bande dessinée.
Parce qu’avant d’être écrivain, j’étais plutôt spécialisé dans les arts visuels. Ben, peut-être pas « spécialisé ». Disons que j’avais un intérêt marqué pour la chose. J’avais suivi de nombreux cours de dessin durant mon enfance, je faisais de la peinture à l’huile à 13 ans et, franchement, j’étais pas mal du tout. J’arrivais à faire des portraits assez décents.
Cependant, j’écrivais pas du tout.
Et j’aimais beaucoup les jeux vidéo. En particulier la série Final Fantasy.
* * *
C’était en 1998 ou 1999. J’arrive plus à m’en souvenir.
J’étais assis dans le bureau de l’orienteur et on cherchait ensemble ce que je pourrais bien faire de ma vie. Parce que comme la plupart des finissants du secondaire, j’avais aucune idée où je voulais aller.
— Qu’est-ce que t’aimes?
— Les jeux vidéo.
(Soupir de désespoir de sa part.)
L’orienteur feuillette donc son manuel des programmes de cégep et me dit :
— Aimerais-tu ça faire des jeux vidéo?
— OUI!!!
Alors il me suggère de m’inscrire au Cégep de Lévis-Lauzon en Arts médiatiques.
PIRE SUGGESTION AU MONDE!
* * *
En fait, le programme était bien correct. Ce qui ne marchait pas, c’était qu’on faisait pas du tout de jeux vidéo. Mais de l’art abstrait, ça oui. (Pardon, de l’art « non figuratif », les profs insistaient jamais assez sur le fait qu’on devait absolument utiliser ce terme.)
On travaillait parfois sur Softimage (la version sur une base UNIX, vous êtes chanceux de n’avoir jamais connu ça, sérieux). Alors quand l’orienteur a vu, dans le carnet des programmes de cégep, qu’on ferait de l’imagerie 3D, dans sa tête, il s’est dit immédiatement : « ILS VONT TELLEMENT FAIRE DES JEUX VIDÉO C’EST LE PROGRAMME PARFAIT POUR CE JEUNE HOMME QUI COMME TOUS LES AUTRES GAMINS DE SON ÂGE NE SAIT PAS CE QU’IL FERA DE SA PEAU D’ACCORD OUI VA EN ARTS MÉDIATIQUES ET SORS DE MON BUREAU AU PLUS SACRANT NEXT ».
Sauf qu’en 3D, on faisait aussi des oeuvres non figuratives.
Je voulais me vomir dessus.
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J’ai enduré le supplice pendant une année complète, à faire de la sculpture, de la peinture, de la 3D, du pastel, de l’aquarelle et tout le tralala, uniquement en « non figuratif ». C’est ben correct, sauf que moi j’allais là pour faire des jeux vidéo.
Pour votre information, en 1999-2000, des programmes pour faire du jeu vidéo, ça existait pas vraiment. Le boom est venu peut-être 5 ans plus tard. En attendant, on n’avait que des programmes qui tâtonnaient le sujet. La seule exception était peut-être le centre NAD, à Montréal, où on apprenait vraiment à faire de la 3D kickass. Mais ça coutait 10 000 $ pour entrer là.
J’avais pas cet argent.
Donc, je faisais du non figuratif.
* * *
Je ne dis pas que l’art abstrait, c’est de la merde. Mon parcours au cégep m’a justement appris à apprécier cette forme d’art et à contempler ces oeuvres d’un nouvel oeil.
Mais à 17 ans, j’aimais pas ça.
Ma seule façon de survivre était de m’isoler dans ma chambre, une fois les cours terminés, de sortir mes papiers et mes crayons, et de dessiner les trucs qui me faisaient vraiment triper.
En gros, c’étaient des personnages aux allures médiévales. Que voulez-vous, j’étais un ancien joueur de D&D…
L’un de ces dessins-là m’a accroché plus que les autres.
Je l’ai réalisé sans but précis, commençant par le visage et improvisant pour tout le reste. Même chose pour le nom.
Je l’ai mis de côté, me disant que j’y reviendrais sûrement.
* * *
Une autre manière de passer ma rage était de faire de la bande dessinée.
Avec un de mes amis, j’avais inventé l’histoire d’un squelette qui manie une HACHE SUR UNE CHAÎNE (awesome) et qui voulait se venger de ceux qui ont ruiné son ancienne vie.
Mon projet était si ambitieux que j’ai vraiment joué le tout pour le tout.
Je me suis acheté une table à dessin. Un paquet de nouveaux crayons. Des feuilles de très haute qualité.
J’ai même lâché le cégep. Confiant, tu dis? Ouais.
Dans ma tête, faire de la BD, c’était mon grand projet de vie. Je m’en irais loin avec ça. T’sais, après tout, j’avais les idées, le talent et l’ambition requise. Tout ne peut que bien se passer, right?
J’ai fait trois planches avant de tout sacrer par la fenêtre.
* * *
C’est qu’en BD, voyez-vous, c’est vraiment difficile de faire en sorte qu’un personnage se ressemble d’une case à l’autre. Et force était d’avouer que j’étais vraiment nul pour les expressions faciales. Tous mes personnages étaient neutres. NEUTRES! S’ils devaient être fâché ou triste, il aurait fallu que j’écrive l’émotion textuellement dans leur face. Y’avait rien à faire.
J’aurais bien sûr pu m’améliorer en pratiquant mon tracé, en me perfectionnant, mais à l’époque, j’étais têtu. Il fallait que je sois bon tout de suite.
Tout s’est ramassé à la poubelle.
* * *
Alors là, je me retrouvais à Lévis. J’avais pas d’emploi, je n’allais plus au cégep, et je n’avais aucun projet concret, à part les quelques dessins que j’avais réalisés pour le plaisir, entre mes cours.
Vraiment, la vie s’assombrissait de jour en jour.
J’avais l’impression que je voyais le fond du baril, mais oh-que-le-pire-était-à-venir…
Dans la suite, je vous parlerai de mon premier « vrai » emploi : désosseur dans une usine d’abattage de porcs.
Autres articles dans ce dossier :
- La genèse d'Alégracia #1 : La bande dessinée, c'est fini
- La genèse d’Alégracia #2 : Les années sombres
- La genèse d’Alégracia #3 : La lumière au bout du tunnel
- La genèse d’Alégracia #4 : La communauté HorreurQC
- La genèse d’Alégracia #5 : La couverture du premier tome
L’orienteur était vraiment poche, parce qu’à cette époque, il existait déjà une technique en bande dessinée (j’ai connu une fille qui y est allée). Et normalement, quand tu disais que tu voulais faire des jeux vidéos, on te dirigeait en programmation. Ce qui t’aurait sans doute plus davantage! ;)
Oui, ça se donnait à Hull, il me semble. Le problème, c’est qu’en quittant le secondaire, je n’avais pas encore découvert ma passion pour la BD. Ça m’est vraiment venu au cégep, c’était une façon de fuir le non figuratif que je détestais tellement. Sinon, je ne peux pas blâmer mon orienteur pour m’avoir envoyé dans une sphère artistique (je pourrais le blâmer pour plein d’autres choses, cependant). J’avais vraiment insisté sur le fait que je voulais faire de la 3D pour les jeux vidéos. Disons qu’il s’est pas cassé la tête.
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